Pas franchement blanches, leur couleur va du jaune très pâle à l’ambré foncé. Elles sont souvent troubles, mais il en existe de parfaitement limpides : les blanches forment une famille qui a pour dénominateur commun l’utilisation du blé comme matière première.
Le blé, l’orge, le seigle et l’avoine ont longtemps été utilisés pour la fabrication de la bière ; si l’orge a établi sa suprématie en brasserie, le blé
permettait d’obtenir un pain de meilleure qualité que les autres céréales. Selon les aléas des récoltes, les brasseurs pouvaient ou non utiliser le blé ; quant à l’orge elle ne servait qu’au
bétail ou à la bière. D’autre part, les grains de blé ne sont pas entourés d’une enveloppe qui constitue chez l’orge un filtre naturel lors du brassage, ce qui entraîne l’obturation des filtres
des cuves. Le blé pose aussi des problèmes de stabilité et de clarification. Par contre, brassé en fermentation haute, avec au moins 30 à 50% d’orge maltée, le blé apporte des arômes spécifiques
avec des dominantes fruitées. C’est pourquoi son utilisation a été constante jusqu’au 19ème siècle en Allemagne et même jusqu’en 1950 en Belgique avant de disparaître presque
La renaissance de la bière de froment ou bière blanche est un véritable phénomène qui a débuté dans les années 1970 et qui connaît toujours une forte croissance. Offrant une réelle alternative aux bières de fermentation basse, ses saveurs acidulées très désaltérantes et ses arômes fruités témoignent de l’élargissement des goûts des consommateurs en matière de bière en cette fin de millénaire.
Lorsqu’en 1516, les ducs de Bavière édictent leur “ loi de pureté ”, qui n’autorise que le malt d’orge pour l’élaboration de la bière, ils proscrivent de ce fait l’utilisation du blé. Ils veulent en fin de compte sauver leurs intérêts, car le brassage des bières de blé est le monopole de la famille royale de Bavière, qui l’a hérité des barons de Degensberg. Elle va soit l’exercer au sein de sa brasserie de Munich, la HOFBRÄUHAUS, soit l’accorder à quelques brasseries bavaroises en nombre limité.
En fait, la bière de blé est réservée à l’aristocratie de Bavière alors que la bière d’orge devait satisfaire la soif du reste de la population. Très recherchée au 18ème siècle, cette bière va tomber en désuétude, si bien, qu’en 1850, la famille royale va octroyer le brassage à un roturier, Georg SCHNEIDER. Quelques années plus tard, il construit à Munich une brasserie spéciale pour ses bières de blé. Aujourd’hui encore, les descendant de SCHNEIDER produisent toujours des bières de blé dans leur brasserie de KELHEIM, dont les bâtiments remontent au 17è siècle, les cuves de fermentation sont ouvertes.
D’autres brasseurs bavarois finirent par se mettre à faire de la bière de blé dans les années 1960, au point d’en faire, vers 1990-2000, la catégorie qui connaît la plus forte expansion. La brasserie SPATEN produit plus de bière de froment, sous la marque FRANKISTANER, que de bière de fermentation basse.
Appelées “ WEIZEN ”, froment en allemand, ou par homophonie “ WEISSEN ”, banches, les bières de blé contiennent de 50 à 70% de cette céréale, alors que l’orge maltée est nécessaire pour obtenir une bonne fermentation. Elles sont le plus souvent troubles, car non filtrées, “ HEFE WEISSE ”, avec un taux d’alcool de 5%. Mais il en existe de plus fortes, comme la AVENTINUS de SCHNEIDER, à 8% et de couleur ambrée.
Les “ WEIZENBIER ” sont peu houblonnées, car il s’agit de laisser se développer les arômes fruités apportés par la fermentation haute : banane, pomme, clou de girofle…. Elles sont généralement conditionnées en bouteille de 50 cl, avec une première garde de trois semaines à 20°C, ce qui entraîne une seconde fermentation, suivie d’une garde à froid.
Berlin a conservé la tradition d’une bière très ancienne à base de froment, la BERLINER WEISS, qui aurait été amenée par les huguenots qui l’auraient apprise lors de leur passage en Flandres. C’est délibérément que les brasseurs berlinois ensemencent leurs moûts avec un bacille lactique, afin de lui donner son goût spécifique, puis ils procèdent à une fermentation haute en cuves, suivie d’une deuxième en bouteille. Les blanches de Berlin sont peu alcoolisées, 2 à 3%, et particulièrement désaltérantes. Ces bières ne sont plus élaborées que par les brasseries KINDL et SCHULHEIS.
Pierre CELIS, avec la blanche de HOEGAARDEN, va redonner vie à une bière de blé. Dans les zones rurales des Flandres, les bières de froment sont connues depuis le XVème siècle. Mais
leur production vont peu à peu péricliter vaincue par la suprématie croissante des pils. THOMSIN, la dernière brasserie traditionnelle de
HOEGAARDEN, gros bourg de la région de Louvain, cesse définitivement sa production en 1950. Cette bière aurait complètement disparue si un
jeune homme qui travaillait dans cette brasserie ne décidait quelques années plus tard de prouver à ses amis qu’il était capable de produire une telle bière ; avec quelques bénévoles, il
crée une mini-brasserie en 1957, puis se met à produire des blanches avec du matériel racheté à la brasserie de ZOLDER. Il obtient un vif
succès.
Ce sont les étudiants de Louvain qui vont être les premiers partisans de la BLANCHE DE HOEGAARDEN, suivis par les femmes. Contenant une proportion égale de blé et de malt d’orge, là, elle subit une fermentation haute, suivie d’une garde de un mois ; mais son secret c’est l’ajout de coriandre et d’écorce d’orange lors du houblonnage. La bière non filtrée présente une couleur jaune pâle un peu trouble. En plus, elle a un taux d’alcool peu élevé, 4,2%.
Alors que HOEGAARDEN est rachetée par le groupe INTERBREW, les autres brasseurs se lancent sur ses traces, mais leurs bières ne différeront pas de celle de CELIS, véritable pionnier, qui va s’établir au Texas, où il élabore une CELIS WHITE, adulée des amateurs.
Le phénomène de la blanche version belge ne se limite pas à ce seul pays ; les Pays-Bas, avec la WIECKSE WITTE, du groupe HEINEKEN, la France, avec l’AMADEUS des Brasseurs de Gayant, la blanche alsacienne de METEOR, la FRAÎCHE DE L’AUNELLE de la brasserie DUYCK, réalisée avec des céréales biologiques. Le style va traverser l’Atlantique et l’on trouve au Québec, la BLANCHE DE CHAMBLY, la première d’UNIBROUE, promotionnée par Robert Charlebois.
Avec la COLOMBA, la brasserie corse PIETRA offrent des parfums nouveaux grâce à une aromatisation avec des herbes du maquis, ajoutées lors du houblonnage. Fidèle à ses principes, Bruno MANGIN, de la brasserie ROUGET DE L’ISLE dans le Jura, n’utilise pas de houblon ; pour aromatiser sa blanche, la MARSEILLAISE, il recourt à la citronnelle . Dans un style plus classique, la GRAIN D’ORGE BLANCHE de la brasserie JEANNE D’ARC, dans le nord, marque sa différence par une grande ampleur aromatique.